ESSAI

HILTER, MOI, MÈRE TERESA

 

AVANT-PROPOS


La crise de la trentaine

À la mi-temps de ma vie, je ressens le besoin de faire le point. Non pas sur le plan de ma carrière ou de ma vie affective, mais de ma foi. Quelle image ai-je de Dieu aujourd’hui? A-t-elle changé depuis le début de mon cheminement spirituel, au temps de mon adolescence? Comment s’articule ma vision de la dimension communautaire de la foi? Est-ce que ma foi s’intègre à mes expériences,à mes connaissances et à mes projets dans un tout cohérent? Si je reformulais mon intention selon un autre point de vue, je dirais que je veux me donner un document de référence pour mesurer le chemin parcouru, pour envisager les étapes à venir et pour m’aider à faire, lorsque je serai avancé en âge, le bilan de ma vie. À cet effet, je me place résolument dans cette crise de la trentaine telle que décrite par Gail Sheehy dans son livre LES PASSAGES DE LA VIE :

« À l’approche de la trentaine, nous avons le sentiment d’être étouffés par la continuité des activités dans lesquelles nous nous sommes engagés à vingt ans. Bien qu’elles aient parfaitement pu nous convenir à cet âge, ce n’est maintenant plus le cas. (…)La fin de la vingtaine nous réserve une autre surprise : la volonté et l’intelligence ne peuvent venir à bout de tous les obstacles contrairement à ce que nous pensions. ( « Les expériences subjectives importantes révèlent aux gens que la vie est beaucoup plus difficile et pénible qu’on ne le croyait à vingt ans. » Gould ) La vie devient plus compliquée en effet, mais c’est de cette complexité que l’on tire de nouvelles richesses. »(1)

À l’image du lien que je viens de faire avec une auteure bien connue, je veux multiplier les citations avec des auteurs qu’il m’apparaît important de connaître pour cheminer lucidement et sainement. Dans ce sens, c’est moins gênant de prétendre offrir un livre aidant.

Donc, je me propose d’effectuer une démarche avec un côté intimiste mais, pour ne pas me complaire dans le méli-mélo de mon petit moi, je veux rejoindre plusieurs clefs des fondements intellectuels contemporains pour tendre à universaliser ma réflexion.

Puzzle humano-divin

Cet essai va tenter de rassembler de multiples morceaux d’un puzzle. Humain, dans le sens de vouloir circonscrire les bornes de la destinée humaine et divin, dans le sens de la révélation judéo-chrétienne. En primeur – ou en couleurs – mes propos seront teintés par ma propre expérience humaine de croyant.

Ici, je me situe au coeur d’une démarche personnelle où, dès les premières interrogations de l’adolescence : Qui suis-je? Quel est le but de ma vie? Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’amour? etc., j’ai découvert un Dieu qui venait répondre à ces questions existentielles et me donner la paix intérieure. Ceci, afin que je réussisse à vivre dans un univers difficile et que je construise un monde meilleur. Depuis, j’ai toujours gardé cette relation intimiste entre mon développement humain et le mystère de Dieu. D’ailleurs, le titre de mon essai porte en germe cet amalgame particulier. Mon premier questionnement était évidemment nourri par le contexte social dans lequel je vivais et, à cet âge où je m’ouvrais à l’histoire et à l’actualité, Hitler et Mère Theresa aiguisaient ma réflexion. Je dis aiguisaient car dans la logique de ma crise d’adolescence, je me servais royalement de tout ce qui me tombait sous la main pour remettre en question les autres, la société et je ne sais quel dieu. Le problème – ou plutôt mon problème – était que ces armes se retournaient fréquemment contre moi et harcelaient mon humanité. N’étais-je pas partie intégrante de ces hommes et de ces femmes capables des pires cruautés et de la plus merveilleuse tendresse? N’avais-je pas aussi en moi les rejetons du bien et du mal? Étais-je libre de veiller à la croissance de l’un au détriment de l’autre ou étais-je emporté par un destin inéluctable? Ouf! Une chance que je n’ai pas expérimenté de fortes drogues dans ce tourbillon psychique, car j’y aurais sûrement laissé ma peau…

Par la suite, j’ai poursuivi une recherche académique et personnelle tant sur le plan de la théologie que de la psychologie. Ce bagage particulier a fait retentir plus d’une fois des cloches d’alarme autant lorsque je m’impliquais dans des milieux chrétiens que dans des milieux humanistes. En effet, j’étais mal à l’aise lorsque mis en présence de doctrines chrétiennes qui allaient à l’encontre d’un développement psychologique sain et j’étais autant indisposé devant des adeptes de la psychologie humaniste qui échafaudaient une pensée qui déifiait la nature (mère Nature, pouvoirs des pierres) ou les capacités humaines (parapsychologie) ou qui, parfois, exploraient des pratiques occultes (médium). C’est justement cette particularité de mon itinéraire qui a marginalisé mon cheminement. En effet, certains se sont méfiés de moi ou bien, moi-même, j’ai pris des orientations nettement non-conformistes par rapport à ces deux camps. De ce vécu – sur lequel je n’élaborerai pas ici – j’ai toujours gardé un profond respect des individus qui, même bornés par une vision trop étroite de l’humain ou de Dieu, ne vivaient pas moins une foi sincère ou n’avaient pas moins des idées articulées sur l’humain. La difficulté des uns et des autres résidait dans un certain réductionnisme : soit que Dieu était perçu par certains humanistes comme une sublimation des désirs insatisfaits, soit que toutes recherches sur l’univers psychiquel propre à l’humain étaient suspectes pour les croyants si elles n’avaient pas de références directes avec la révélation biblique.

À cet effet, il faut absolument citer un précurseur au Québec dans cet effort de rapprocher les deux parties. Jean-Luc Hétu, dans son livre QUELLE FOI? (UNE RENCONTRE ENTRE L’ÉVANGILE ET LA PSYCHOLOGIE), nous donne une piste d’envol commune :

« J’ai tenté d’être clair à propos de mon approche psychologique du phénomène chrétien. Je ne réduis pas la démarche de foi à une « explication » psychologique qui n’aurait rien saisi aux enjeux de fond auxquels Dieu convie l’homme. Je crois à ce propos que les psychologues scientistes à la façon du 19ième siècle et insensibles à la dimension spirituelle de la vie réduisent grossièrement la foi aux explications partielles et extérieures qu’ils peuvent en donner. Face à ce genre de psychologue, je partage spontanément la protestation des croyants. Mais par ailleurs – les pages qui suivent vous le montreront clairement – je suis convaincu que ces « enjeux majeurs » auxquels Dieu convie les croyants, le non-croyant s’y trouve lui aussi confronté, à partir de la vie elle-même. C’est pourquoi je crois que la psychologie peut nous en apprendre beaucoup sur ce que croyants et non-croyants ont en commun. Là-dessus, je pense que seuls les esprits timorés craindront qu’on appauvrisse le chrétien en reconnaissant clairement sa solidarité fondamentale de destin avec tout homme.»(2)

Critique et respect

À cette étape-ci, je tiens à formuler l’atmosphère de respect qui m’habite même si je me permets de critiquer les croyances des uns et des autres. Comme dans un conflit entre deux amis, tout peut se dire lors d’un face-à-face honnête où chacun pèse ses mots pour ne pas blesser l’autre et où chacun distille les propos de son vis-à-vis lorsque ceux-ci sont trop durs. L’amitié joue, ici, un rôle de régulateur de tensions dans la communication.

J’ai choisi un exemple provenant justement de l’amour pour illustrer mes intentions; un amour qui essaie de comprendre mes contemporains dans certains comportements mesquins. C’est qu’il y eut un temps où je me révoltais maladroitement contre toute manifestation d’indifférence de mes semblables devant la misère humaine. Sans même parler de situations extrêmes comme une période de sécheresse en Afrique, j’étais peiné de voir que dans son propre entourage, un tel n’aidait pas son frère, sa soeur, un parent, un voisin dans leurs besoins matériels et humains. Puis un jour, quelqu’un que j’aimais beaucoup et que je savais devenir de plus en plus réservé dans ses gestes altruistes, m’expliqua que son rythme de vie trépidant et ses placements boursiers faisaient qu’il n’avait pas le temps ni les moyens disponibles pour aider un proche dans une situation précaire. À ce moment-là, je compris que beaucoup de mes contemporains n’avaient pas tout à fait un coeur fermé envers la misère d’autrui mais, plutôt, des choix de vie, des valeurs particulières les empêchaient de répondre à la détresse des autres. Par la suite, j’ai découvert que Jean Vanier développait cette idée en parlant de nager à contre-courant de notre siècle pour atteindre l’autre. Des valeurs matérialistes, une recherche autosuffisante nous masquent, tel un brouillard, le regard crispé du prochain. De mon point de vue, la faute est aussi infectieuse aujourd’hui, mais c’est comme si j’étais plus compréhensif, car je ne me sens pas moi-même complètement immunisé contre ce virus.

C’est vraiment dans un esprit de paix que j’ose remettre en question des comportements et des croyances actuelles.


AVERTISSEMENT

La logique de cet essai veut que je commence par le Père. Ici, les correspondances sont plus de l’ordre du savoir (penser), nécessitant une lecture plus ardue. J’ai décidé d’offrir virtuellement la deuxième partie portant sur le Fils. Dans cette section, les correspondances visent plus l’être (sentir). Enfin, pour votre information, la troisième partie concerne le faire (agir), l’exercice de la spiritualité. Mon livre est offert gracieusement au complet à la demande.


DEUXIÈME PARTIE

LE FILS

«Après avoir parlé à nos pères par les prophètes, Dieu nous a parlé par son Fils. »(24)

CHAPITRE 1

LE CHEMIN

Psychologie et foi

Prenons, dans un premier temps, Jésus de Nazareth dans ses comportements et dans ses enseignements. Si le Galiléen est vraiment en harmonie avec son Père-Créateur, il va reproduire des comportements humains sains; cet équilibre pouvant être interprété selon certains critères de la psychologie humaine. On est moins familier à relire l’Évangile en regard d’une grille psychanalytique ou en regard d’une vision de la psychologie humaniste. C’est l’entreprise de Françoise Dolto et de Jean-Luc Hétu.

Françoise Dolto, dans son livre L’ÉVANGILE AU RISQUE DE LA PSYCHANALYSE(25), a débroussaillé ce premier terrain :

« Ce que je lis dans les évangiles, en tant que formée par la psychanalyse, me paraît être la confirmation, l’illustration de cette dynamique vivante à l’oeuvre dans le psychisme humain et sa force qui vient de l’inconscient, là où le désir prend source, d’où il part à la recherche de ce qui lui manque.
(…)
La lecture des évangiles, je le répète, produit d’abord un choc en ma subjectivité, puis, au contact de ces textes, je découvre que Jésus enseigne le désir et y entraîne. Je découvre que ces textes de deux milles ans ne sont pas en contradiction avec l’inconscient des hommes d’aujourd’hui. Je découvre que ces textes illustrent, et éclairent les lois de l’inconscient découvertes au siècle dernier. »p.??

Pour bien saisir l’originalité de sa démarche, je pense qu’il est nécessaire de reproduire au moins un exemple de cette application de la grille psychanalytique aux comportements de Jésus. L’auteure commence par rappeler l’épisode de la vie de Jésus lorsqu’il se retrouve au Temple à 12 ans:

« Quand Jésus eut atteint l’âge de douze ans, ses parents montèrent à Jérusalem selon la coutume de la fête de Pâque; mais les jours de la fête étaient terminés, alors qu’ils revenaient, l’Enfant Jésus demeura à Jérusalem et ils n’en surent rien. Pensant qu’il était avec ceux de leur compagnie, ils firent une journée de chemin tout en le cherchant parmi leurs parents et leurs connaissances. Ne l’ayant point trouvé, ils revinrent à Jérusalem, à sa recherche.Au bout de trois jours, il arriva qu’ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. Or, tous ceux qui l’entendaient étaient étonnés de son intelligence et de ses réponses. À ce spectacle, ses parents furent saisis d’émotion et sa mère lui dit:  » Mon fils, pourquoi as-tu agis de la sorte avec nous? Voilà que ton père et moi-même nous te cherchions tout affligés.  » Mais il leur répondit:  » Pourquoi me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père? » Ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. Alors, il descendit avec eux et vint à Nazareth et il leur était soumis. Or sa mère conservait toutes ses paroles dans son coeur. Cependant Jésus grandissait en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes.»p.??

Dans un style d’entretien avec Gérard Sévérin, l’auteure précise sa réflexion :

« (Gérard Sévérin)
-Est-ce-que Jésus a pu vivre ce complexe nucléaire qu’on appelle le complexe d’Oedipe? Plus simplement, est-ce que Jésus a été séparé, castré de sa mère par Joseph?
(Françoise Dolto)
– Normalement, le garçon résout cette séparation d’avec la mère vers les 5-6 ans. Je crois que Jésus a dû vivre cette castration à cet âge-là, si j’en juge par cet épisode du Temple. S’il n’avait pas résolu son oedipe, il n’aurait pas pu vivre de cette manière cette péripétie.
– Qu’est-il arrivé de si extraordinaire?
– Jésus entre dans la vie adulte. C’est lui qui castre alors ses parents de leur possessivité.
– Comment imaginer que Joseph et Marie aient pu devenir possessifs de leur enfant?
– La présence permanente de Jésus à leur foyer leur permet, comme à tous les parents, de croire que cet enfant est à eux, qu’il leur appartient. D’ailleurs, Marie ne dit-elle pas :  » Mon enfant, pourquoi nous as-tu fais cela?  » Comme si elle pensait que Jésus leur avait joué intentionnellement un mauvais tour! Si Jésus agit comme bon lui semble ou s’il agit selon la vocation qu’il croit être la sienne, ses parents en sont donc atteints. Pour Marie, ce que Jésus vit est dirigé contre elle et Joseph:  » C’est à nous qu’il fait cela!  » Vous voyez la vie des parents et celle de l’enfant sont ici bien imbriquées, étroitement liées. N’est-ce pas être possesseur d’un enfant, comme tous les parents du monde le deviennent s’il n’y prennent garde? Aussi, comme chaque enfant doit le faire, Jésus, je le redis, castre ses parents de leur possessivité. Il nous montre là le développement exemplaire d’un enfant dans une famille. Il a douze-treize ans, il entre dans la vie adulte. Il ne quitte pas ses parents, mais il n’est plus l’enfant. Il est le fils. »p.??

Il faut être conscient de la relative nouveauté de cette forme de concordance. Bien des obstacles empêchaient des hommes et des femmes d’admettre une telle similitude. Freud a certes contribué à l’avancement de la connaissance de la psychologie des névroses, mais il a semé aussi une répulsion viscérale contre toutes formes de spiritualité.

« Les études médicales au début du siècle ne comportaient pas un enseignement régulier sur les désordres mentaux et peu de médecins connaissaient la question. Freud était l’exception notoire et ses écrits dénotent une pensée originale sur la psychologie des névroses. Toutefois, d’après Jung, sa préoccupation exclusive de la sexualité infantile le conduisait à négliger des faits d’égale sinon de plus grande importance. Il écrivit à ce sujet :  » C’est surtout l’attitude de Freud vis-à-vis de l’esprit qui me semble sujette à caution. Chaque fois que l’expression d’une spiritualité se manifestait chez un homme ou dans une oeuvre d’art,il soupçonnait et faisait intervenir de la sexualité refoulée ». »(26)

Il faut dire que les armes contre ce rapprochement entre psychologie et foi ne proviennent pas seulement des opposants à la spiritualité. De fait, une attitude moralisatrice néfaste à l’intérieur même du christianisme a servi des arguments à ses propres adversaires. Paul Tournier, dans son livre VRAIE OU FAUSSE CULPABILITÉ, explique cette réalité :

« Tous les réquisitoires des psychologues contre les Églises chrétiennes visent, en réalité, non pas la Révélation biblique, mais le moralisme : ce moralisme qui lui est radicalement opposé; ce moralisme qui voudrait lapider Jésus, comme l’ordonnait la loi de Moïse pour avoir violé le sabbat en guérissant un homme ce jour-là; ce moralisme qui l,a crucifié. Car, à leur tour, les psychothérapeutes découvrent chaque jour, chez leurs malades, ce poids écrasant du moralisme, du conformisme social et de ses tabous. Mais il faut reconnaître loyalement que ce moralisme est aujourd’hui si répandu dans toutes les Églises chrétiennes que la confusion est excusable. »(27)

Le problème est que plusieurs ont éliminé la culpabilité en exorcisant le rôle que peut jouer à ce niveau leur propre conscience. Une conscience accusatrice, un entourage culpabilisant et un dieu tyrannique doivent effectivement être neutralisés pour que l’individu retrouve un équilibre psychique. Par contre, le sentiment de culpabilité joue un rôle essentiel dans le processus de croissance. Comme le message évangélique met en lumière nos comportements déviants – et même nos pensées – et est source d’un sentiment de culpabilité, on peut présumer que le message chrétien gagnera encore plus de crédibilité si la culpabilité peut être perçue positivement dans une perspective de croissance humaine. C’est ce à quoi Jean-Luc Hétu(28) nous convie :

« Cette brève description met bien en lumière le fait que toute expérience de culpabilité se présente comme une invitation à la croissance. Toute culpabilité est une occasion qui m’est donné de devenir plus transparent face à moi-même, de persévérer dans cette attitude de réciprocité face à la vie, et de me resituer d’une façon plus vraie face à autrui. (…)
À la lumière des considérations soulevées dans ce chapitre, la culpabilité (…) est loin de se réduire à un phénomène névrotique, que certains psychologues se croient obligés d’éliminer à tout prix. Elle est loin aussi de se confondre à une réaction irrationnelle à un tabou, comme se plaisent à la voir certains moralistes, afin de pouvoir plus commodément ensuite l’opposer au péché chrétien. »p.??

Dans une réflexion plus générale, ce même auteur formule son entreprise de la façon suivante:

« Jésus ne veut pas qu’on utilise la religion pour se sentir bon (mécanismes d’affirmation du moi); il ne veut pas non plus qu’on utilise la religion pour éviter de regarder ce qui se passe en soi (mécanismes d’évitement du moi). Il dira aux Pharisiens; vous vous imposez toutes sortes de pratiques religieuses qui n’ont d’autre but que de vous aider à vous fuir vous-même; pendant que vous vous absorbez dans vos activités religieuses, vous dispensez ainsi de regarder ce qui se passe en vous (voir en ce sens le passage de Mt 15, 10-20, où Jésus invite à assumer son vécu intérieur, à s’occuper de ce qui  » provient du coeur « , plutôt que de se perdre en pratiques religieuses stériles).
(…)
Ce rappel succinct des attitudes de fond de Jésus face à la personne humaine met en lumière les affinités profondes entre l’évangile et plusieurs psychologues contemporains. Le propos de ce livre est justement d’explorer ces affinités. Non pas pour prouver que Jésus est encore d’actualité, et encore moins pour réhabiliter les psychologues aux yeux des croyants méfiants. Si j’ai entrepris de rédiger ces pages, c’est pour aider les personnes en recherche spirituelle à saisir plus clairement les défis de fond auxquels l’évangile, la psychologie et la vie tout court les convient chaleureusement. »p.??

Ce Jésus de Nazareth – digne représentant du Créateur – me présente un sujet humain équilibré dans son dynamisme psychique, dans ses comportements et dans ses enseignements.

Ma psychologie et ma foi

Personnellement, la découverte des traits de caractère de ce personnage historique m’a séduit. À la fin de mon adolescence, toujours dans ma recherche de modèles adultes, devant cet homme capable de réaliser ses convictions jusqu’à créer un mouvement autour de ses enseignements, j’ai marché à sa suite. Je me souviens très bien la première fois où j’ai ouvert la bouche pour communiquer à un ami le début de mon émerveillement. Autour d’une table de billards, à 17 ans, la tête embrouillée de paradis artificiels, je lui ai dit : J’ai commencé à lire la bible; y’a quelque chose là. Lui, terminant son coup de baguette, marcha vers moi comme pour entendre la suite. À ce moment, divers sentiments se mêlèrent en moi : le désir d’en dire plus, la préoccupation de lui parler en termes adaptés, non moralisateurs, et la peur de ne pas être capable de répondre à des éventuelles questions suscitées par mon enthousiasme. Donc, la conversation sur le sujet débuta et s’arrêta sur cette seule phrase. Puis, j’ai joué mon coup de billard pour cacher mon trouble.

Malgré cette confusion, c’était clair pour moi que je n’avais pas honte de parler de Jésus, car ses enseignements m’offraient la possibilité de vivre ma vision utopique d’amour universel par le biais du Royaume de Dieu. Ce personnage m’entraînait au désir, à un certain désir. Et, même si je ne pouvais pas être fier de tous mes comportements, je ne me sentais pas accusé ou méprisé; plutôt réorienté dans un chemin où je pressentais pouvoir m’épanouir. Mes désirs n’étaient pas amputés, mais émondés. Une autre lumière éclairait maintenant ma vie et je pouvais mieux discerner certains fruits qui, étrangement, poussaient mieux dans la noirceur.

Par la suite, dans la vingtaine, pour pouvoir communiquer plus efficacement mon expérience intérieure et pour répondre à cet appel du disciple, je me suis engagé dans une communauté de base chrétienne tout en poursuivant des études en théologie catholique. Comme cette communauté émergeait d’un contexte religieux évangélique protestant où des études bibliques étaient au centre des rencontres, je m’enrichissais de deux importantes formes de pensée du christianisme.

Parallèlement à l’acquisition de connaissances, ma foi s’est calquée à mon itinéraire psychologique. Peu à peu, j’ai vécu le passage d’une foi basée sur mes besoins de manque (besoin d’échapper à la peur, à la solitude, à la culpabilité, à la confusion) à une foi basée sur mes besoins d’expansion (besoin de s’ouvrir, de se donner, d’être fécond, de s’unifier dans une sagesse qui nous soit personnelle). C’est d’ailleurs chez Jean-Luc Hétu(28) que j’ai puisé l’inspiration de ce tableau de correspondances :

Souvent, des personnes athées critiquent le cheminement spirituel des croyants en ce qu’il répond à des besoins psychologiques. Il faut prendre conscience qu’eux aussi, évidemment, vivent dans le même univers psychique, mais que leurs dieux deviennent soit un système de pensée particulier, soit une fixation affective ou soit simplement l’attrait pour les plaisirs des sens. Je ne dis pas cela péjorativement, car les croyants ont eux aussi un système de pensée propre, des carences affectives et le désir de combler leurs sens. La différence réside dans le fait que pour le croyant, tout ceci – en fait, sa vie entière – est tributaire de sa relation avec Dieu et non pas en remplacement de Dieu. Ceci est capital parce que c’est avouer que l’individu a besoin de Dieu pour mener sa vie humaine à son plein épanouissement; le croyant permettant à Dieu de mettre de l’ordre dans ses pensées, de lui demander de combler sa solitude intime et de l’aider à vivre dans un encadrement sain, propice à la réalisation de ses désirs. Dans une perspective chrétienne, sa vie est soumise aux valeurs évangéliques. Plus précisément, la personne désire soumettre sa vie à Dieu. Et, même s’il manquera inévitablement plusieurs fois son coup, il se sent remis sur le chemin par une parole de confiance.

Donc, sur le plan chrétien, il y aura nécessairement un encadrement au projet humain. La bible parle de projet humano-divin pour signifier que les comportements humains ne relèvent pas d’un Dieu despotique, mais sont issus d’une alliance intime entre les deux partenaires dans la construction du Royaume Nouveau. 


CHAPITRE 2

LA VÉRITÉ

Conscience humaine et volonté de Dieu

J’essaie maintenant de comprendre comment les propositions de Dieu, ses visées sur ma vie peuvent s’imbriquer harmonieusement en ce qui concerne mon fonctionnement mental. Je ne veux pas dire absence de défis ou de difficultés dans le plan proposé mais, plutôt, que je ne m’y sentirai pas contraint. Il y a de fortes chances que si je découvre que ma conscience peut jouer un rôle bienfaisant dans ma dynamique intérieure – c’est le même cheminement que lorsque j’ai abordé la culpabilité mais, ici, on approfondit ce schéma parce que la conscience émet la culpabilité – je serai à même de discerner des appels à la croissance là où je me sentais remis durement en question. En fait, nous nous retrouvons à la racine de la liberté humaine.

Jean-Luc Hétu nous a déjà familiarisés sur une façon positive de voir la culpabilité comme possibilité de croissance humaine. Je récidivise avec cet auteur qui attribue la même propriété à la conscience :

« Une façon de voir la culpabilité rejaillit sur la façon de voir la conscience elle-même, qui est à l’origine de la culpabilité. On peut voir la conscience comme une instance moraliste et tatillonne dont la seule fonction est de couper le plaisir quand il devient trop bon. Mais à côté de cette caricature, Bauer fait valoir que la conscience peut devenir une « conscience-vision » et une « conscience-courage », pour peu que l’éducation aille dans ce sens. La conscience remplit alors le rôle d’une convocation permanente à la croissance personnelle, par la découverte de mes dynamismes et de mes défis. Lorsqu’il est donné à une telle conscience de remplir son rôle, ce n’est pas lorsque j’ai enfreint un interdit ou une norme que je me sens mécontent de moi, insatisfait, mais lorsque j’ai laissé passer une occasion de grandir, de devenir plus conscient, plus vrai, plus humain…»(29)

Dans le même sens, les exigences de l’enseignement de Jésus de Nazareth – y compris le don de soi – seraient une convocation personnelle à la croissance et, étant donné la conscience universelle du Créateur, ces exigences seraient aussi une convocation permanente à la croissance du genre humain.

Plusieurs rétorqueront : comment ma liberté se fera-t-elle une niche dans tant d’espace envahi par Dieu au travers de ma conscience? En fait, c’est l’opposition entre deux libertés.(Encore ici, je m’en tiens à un propos général dans le texte principal. Par contre, pour me satisfaire et pour ceux qui veulent creuser cette question, je poursuis cette réflexion en retrait.(d))

Puisque dans ce dernier chapitre je me suis un peu envolé dans des considérations abstraites – dans une une longue note portant sur la liberté humaine versus la volonté de Dieu -, j’aimerais conclure ces pensées par une application concrète de l’encadrement proposé par les Évangiles face aux richesses. Ma porte d’entrée sera Pierre Vadeboncoeur :

« Le fait pour le bourgeois de vivre dans un monde suffisant et retranché a eu pour lui d’autres conséquences. J’ai mentionné il y a un moment la religion. C’est sa philosophie déclarée. Mais c’est aussi le sujet de son chef-d’oeuvre en fait de trahison. Il fait voir ce qu’est devenue au sein de sa classe une religion dont l’inspiration, pour une grande part, résulte d’un long regard sur la misère de la foule. Comment diriger sur la foule ce profond regard quand précisément on a choisi de ne point la voir? Il n’y a pas de religion chrétienne dont le peuple ne soit l’objet terrestre. Mais le bourgeois, séparé du peuple, n’en continue pas moins de se dire et même de se croire catholique ou protestant. Non seulemet est-ce là une impossibilité spirituelle, mais une contradiction, vécue obstinément et avec une espèce d’insoucience, a forcé la pensé du bourgeois à s’installer dans l’insécurité et à traiter les idées comme des pauvres. Sa philosophie la plus engageante ne l’engage aucunement; il fait donc nécessairement le bouffon.»(30)

Les évangiles de Marc et de Mathieu révèlent l’écho de ce raisonnement :

« Les disciples furent étonnés de ce que Jésus parlait ainsi. Et, reprenant, il leur dit:  » Mes enfants, qu’il est difficile à ceux qui se confient dans les richesses d’entrer dans le royaume de Dieu! » »(31)

« Celui qui a reçu la semence parmi les épines, c’est celui qui entend la parole, mais en qui les soucis du siècle et la séduction des richesses étouffent cette parole, et la rendent infructueuse.»(32)

Claude Tresmontant dans son livre L’ENSEIGNEMENT DE IESCHOUA DE NAZARETH(33) transpose même l’accumulation des richesses suir le plan d’un mal spirituel :

« L’idolâtrie, nous l’avons vu aussi dans notre précédent essai, consiste essentiellement à conférer aux êtres du monde des caractères ou des attributs qui ne conviennent qu’à Celui qui est l’Être absolu. (…)
La richesse est effectivement, chez la plupart des hommes, l’objet d’un culte idolâtre, dans le secret de leurs coeurs. L’accumulation de la richesse est un effort pour échapper à l’angoisse de la mort, à l’angoisse de l’instabilité et de l’insécurité, de la dépendance, un effort pour s’assurer contre le risque, une recherche de la consistance. »p.??

Maintenant, pour être fidèle à ma démarche précédente, il faut voir positivement cet appel à ne pas se confier dans les richesses. Comment mon comportement docile face à cette exigence évangélique sera-t-il pour moi une source de vie et non pas une contrainte à ma liberté qui me laissera un goût amer. Le même auteur complète sa pensée dans ce sens :

«  » Et tout homme qui a laissé des maisons, ou des frères, ou des soeurs, ou son père, ou sa mère, ou des enfants ou des champs (Luc : ou une femme) à cause de mon nom (Marc : et à cause de l’évangile; Luc : à cause du royaume de Dieu) – celui-là recevre bien plus (Marc : le centuple dans la création présente : des maisons, et des frères et des soeurs et des mères et des enfants et des champs, avec des persécutions), et dans la durée qui vient, la vie éternelle. » (Mat. 19,27; Marc, 10, 28; Luc,18,28) Le rabbi Ieschoua ne demande pas de renoncer librement à la richesse et à la propriété pour aboutir finalement au vide, et au néant. Il recommande de renoncer aux richesses afin d’atteindre à une richesse multipiée infiniment. Ce qu’il vise, ce n’est pas le néant, mais l’être.»p.??

De point de vue chrétien, ce qui est doublement exaltant, c’est que les contraintes qui me sont imposées proviennent de l’Amour. Il m’apparaît important de m’attarder encore sur ces contraintes même si elles sont proposées au nom de l’amour, car notre cette vision va à l’encontre du courant autonomiste de notre société moderne.

Bien que la foi chrétienne prend en considération l’individu en cheminement, elle s’en démarque aussi en lui rappelant que l’aboutissement de la vie humaine n’est pas le bonheur de l’individu seul, mais de l’humanité. Ce donné est interprété dans la foi comme le Royaume de Dieu. Autrement dit, l’autonomie n’est pas une fin en soi pour la foi chrétienne. Plutôt, la foi affirme que le salut passe par l’interpersonnalité, comme l’a nommée Jacques Limoges dans son livre sur l’entraide:

« Néanmoins, plus que jamais les entraidants et les groupes d’entraide rendent caduque un concept « chouchou » pour ne pas dire « pop » des sociétés modernes, celui d’autonomie. Et en écrivant ces lignes, je suis très conscient que je touche un mot vénéré et adulé, parfois même tabou.
Ici, il sert de paravent à cet enseignant désabusé qui ne veut plus rien savoir de ses élèves; alors il dit favoriser l’autonomie pour couvrir sa démission, son laisser-aller, son indifférence. Là, c’est un organisme communautaire maintes fois ébranlé par des coupures de postes et de budget qui prononce ce mot magique en espérant que les gens comprennent quelque chose comme : « débrouillez-vous tout seuls, nous on est débordés ». À côté, ce sont des résidences pour personnes âgées à la recherche de bénéficiaires autonomes, c’est-à-dire capables de se déplacer seuls. Et ailleurs, ce sont des adultes qui, refusant de voir les enfants différents d’eux-mêmes ou se projetant sur eux, se sécurisent en récitant le mot béni pendant que leur progéniture développe un individualisme infantile et mesquin.
(…)
Sans prétendre résoudre ce problème ni vouloir tout réfuter, au nom de l’entraide, je voudrais introduire dans le débat deux considérations.
La première porte sur le fait que les théories structuro-développementales rigoureuses comme celles de Loevinger prennent en compte l’autonomie, la placent même au stade ultime, mais précisent par ailleurs que la seule façon d’y accéder, c’est en complétant les stades précédents, qualitativement différents les uns des autres. Ainsi, certains portent sur la conformité et la solidarité, ce qui fait que le stade autonome risque de naître l’apanage que des gens pétris par les interactions de la vie et du temps.
Ma seconde considération s’appuie sur Coan. Dans un livre au titre accrocheur que je traduis par Héros, artiste, sage ou saint?, Coan fait état d’une étude sur les concepts de santé mentale, de normalité, de maturité, d’actualisation et d’épanouissement humain. Ces concepts furent d’abord retracés dans les différentes périodes (la Renaissance, le Siècle des lumières, etc.) des civilisations occidentales (grecques, chrétiennes, etc.). Il les a aussi retracées dans les traditions orientales (hindouisme et bouddhisme). En troisième lieu, il a exploré les écrits des maîtres de la psychologie moderne : Freud, Adler, Fromm, Erickson, Assagioli, Berne, Skinner, Allport, Rogers, Maslow et Perls. Enfin, il les a répertoriés chez les grands philosophes : Kierkegaard, Nietzsche, Heidegger, Jasper, Marcel et Sartre.
Ce long périple lui a permis de cerner le noyau dur de la personne optimalisée, quel que soit l’âge, le temps, le modèle ou la région. Or, ce noyau dur se compose de cinq qualités :
– efficacité, créativité, harmonie interne, « relationalité » (relatedness), transcendance.
On notera que l’autonomie n’en fait pas partie. Au contraire, c’est la « relationalité » qui ressort de la sagesse des temps et des espaces. (…)
À mon avis, seule une grille multidimensionnelle comme celle dégagée par Coan peut permettre d’évaluer une prise en charge. Cette grille permet de savoir, lorsqu’une personne se rattache à un groupe d’entraide, si cette action suit la ligne optimalisante de son être. Elle permet de constater qu’établir des réseaux de soutien et d’entraide est le propre de tout être vivant, car on se sauve en groupe. (…)
Qu’on se le dise, il n’y a pas vraiment de prise en charge, de maintien à domicile ou d’intériorisation des règlements si ces démarches ne sont pas assurées dans l’interpersonnalité!
Très près du concept d’autonomie sont ceux d’individualisation, de personnalisation et de particularisation. À force d’individualiser et de personnaliser, on m’a enfin fait comprendre pourquoi le mot personne peut signifier aussi bien quelqu’un que aucun. Oui, à force de personnaliser et d’individualiser, on divise et isole les gens, on les laisse à eux-mêmes; ils ne deviennent personne!»(34)

Si on précise cette sagesse en termes plus spécifiquement bibliques, on peut faire référence à Jean-Luc Hétu, ce pionnier des correspondances entre le donné évangélique et les défis de l’aventure humaine. Dans la postface de son livre, ET LES DISCIPLES SE MIRENT DEBOUT, il résume le contenu de son ouvrage :

«Au tournant du VIIe siècle avant Jésus-Christ, le prophète Michée disait à peu près ceci : « On t’a fait savoir ce qui est bien, ce que le Seigneur attend de toi: rien d’autre que d’accomplir la justice, d’aimer avec tendresse et de marcher avec vigilance avec ton Dieu ».(Michée 6,8). Pratiques de justice, apprentissage de la compassion, vigilance dans la façon de gérer son existence personnelle : ce sont ces trois défis de base de l’aventure humaine auxquels renvoient, chacun à sa façon, les deux cents commentaires qui constituent le présent volume.»(35)

Un fond de bienveillance de Dieu à mon égard me pousse sur le chemin de la foi. «Fais cela et tu auras des jours heureux». Comme si Dieu me disait : Les exigences morales que je te propose sont en étroite relation avec tes propres aspirations de bonheur. Et Jésus semble compléter : Je t’accompagne sur ta route humaine et j’ose te dire que tu dois mourir à une partie de toi pour que tu connaisses un bonheur au-delà de celui de l’avoir, c’est le bonheur de l’être. Ce bonheur d’être et de faire être quelqu’un, seulement toi, humain, tu peux accéder à cet état spirituel. 


CHAPITRE 3

LA VIE

Intégrité de soi et don de soi

Cette loi spirituelle du don de soi possède en elle sa finalité : faire être quelqu’un. Cette loi de l’évolution humano-spirituelle est développée par Claude Tresmontant :

« Mat 16,24 : Alors Ieschoua (Jésus) dit à ses disciples :  » Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce à soi-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive « . (…) Jean 12,24 :  » Vrai, je vous le dis, si le grain de blé tombant dans la terre ne meurt pas, lui, il reste seul. S’il meurt, il porte beaucoup de fruits « . (…) Cette loi ontologique fondamentale, qui est théorique, mais qui comporte bien entendu une application pratique, des conséquences en ce qui concerne l’action, n’est pas fondée sur rien. Elle ne demande pas à être admise sans être vérifiée. Elle est fondée sur l’expérience constante et universelle. C’est une loi de l’être et de la genèse de l’être. Les conséquences qu’elle implique pour l’action ne nous font pas déboucher sur le vide. (…) Il débouche au contraire sur l’être, sur le plus-être, sur la vie. Il enseigne les conditions d’accès à la vie. Il est une initiation à la vie. Il ne demande pas le sacrifice pour le sacrifice. Comme tous les préceptes évangéliques, il fait appel, non pas au masochisme auto-destructeur, mais à l’intérêt bien compris. Il est une loi de l’être et de la vie, non de la mort. »(36)

Après tant d’efforts de ma part de chercher des correspondances entre un donné biblique et nos connaissances actuelles, je trace maintenant une démarcation. La loi spirituelle du don de soi met en relief certaines frontières. Même si la pensée chrétienne peut se servir des sciences humaines comme tremplin théologique, elle ne s’y confine pas. En fait, son but ultime n’est pas l’humain mais Dieu. Bien sûr que le Dieu chrétien veut le bonheur de l’humain, mais on peut rechercher le bonheur sans référence à Dieu. Par exemple, la psychologie humaniste n’est pas neutre en ce qui concerne les valeurs. Elle prend position pour des valeurs d’empathie, d’acceptation inconditionnelle de l’autre, de l’importance de structurer et de développer le moi, etc. Ces valeurs m’apparaissent être en concordance avec les valeurs évangéliques. Par contre, pour l’Évangile, ces valeurs ne sont qu’un moyen pour arriver au but : le don de soi en vue de l’édification du Royaume de Dieu. Tandis que pour la psychologie humaniste, le développement du moi, l’actualisation de l’individu, est le but final.

Pour illustrer cette démarcation, je le ferai de façon téméraire en prenant le débat entourant l’avortement. Je précise que mon entreprise est risquée parce que, évidemment, mon point de vue est masculin et qu’il s’agit d’une polémique éminemment chargée d’émotions. De manière réelle, elle fait appel à nos options les plus fondamentales sur la vie, sur notre vision du monde, sur notre conception du bonheur, sur l’amour…ouf ! Si nous transposons la question de l’avortement en termes de frontière entre la psychologie humaniste et la foi, nous aurions : comment voir dans le foetus-enfant un plus à la vie (selon la foi) si les conditions dans lesquelles il va naître peuvent objectivement (selon une grille humaniste) nuire à la mère? Ainsi, des tenants contre l’avortement demandent à plusieurs femmes de poser un geste de foi en poursuivant leur grossesse, alors qu’elles ne croient pas à la puissance de la Vie – de Dieu au travers de la Vie – qui peut les faire grandir au coeur de cette mort à soi-même. On se souvient de ce don de soi évangélique qui débouche sur l’être et sur le faire être quelqu’un! Comment transposer ce débat spirituel de l’avortement en termes juridiques pour encadrer une population hétérogène ?… C’est un cul-de-sac qui m’angoisse réellement, car je suis tenu à l’amour autant face à la femme concernée qu’au foetus-enfant à naître. De fait, j’ai un haut-le-coeur de toutes ces intimidations et menaces faites aux femmes qui veulent se faire avorter. Si je veux protéger le foetus-enfant à naître au nom de ma foi, je suis tenu de faire une démarche d’amour, selon les exigences de cette même foi, face à la mère. Positivement, que les opposants à l’avortement mettent autant d’énergie à promouvoir des services pour les femmes enceintes et pour les familles monoparentales : allocations au foyer, services de garde, retour aux études, réseau d’entraide, etc.

Pour ma part, je pense que la solution de l’adoption proposée par Mère Theresa est la position mitoyenne qui respecte à la fois une visée humaniste et une vision spirituelle relativement à ce sujet controversé. Je suis conscient que l’adoption engendre des difficultés pour l’enfant de même pour la mère, mais le prix à payer n’est-il pas moins élevé que la vie même du foetus-enfant?

Donc, Jésus de Nazareth m’enseigne des lois de la vie humaine qui poussent mon être jusqu’à ses limites de développement et d’accomplissement par le don de soi. Jésus donne un sens à ma vie comme le Dieu-Créateur en donne un à l’univers. Ce chemin m’amène à la maturité humaine et fait éclore en moi la vie divine.

La prière

Je poursuis le raisonnement en y ajoutant une touche affective. Comme le don de soi est la réponse, un acte volontaire, à la demande de Dieu-Créateur; la prière est la réponse affective à l’appel de Dieu-Père. Ainsi, Dieu m’appelle par sa création, ses témoins, les saintes écritures, la vie de Jésus de Nazareth, etc. Sa parole, passant par ma conscience, est soit bloquée en ce lieu psychique, soit dirigée vers mon coeur (mon affectivité) pour y produire l’émerveillement et l’humble prière.

L’amour

Pour compléter cette deuxième partie des correspondances entre la foi et l’individu, je trouve important d’ajouter la dimension sociale. Ceci pour éviter de donner l’impression qu’en fait le christianisme est du domaine intime seulement. Même si le don de soi est une ouverture vers l’autre – donc avec une portée sociale – j’y ai touché dans une perspective individuelle : c’était le moi qui se donnait, sans quelconque évaluation de l’autre qui reçoit. Qu’arrive-t-il devant l’autre qui ne reçoit pas mon don, qui ne pense pas comme moi, qui ne se comporte pas comme moi? J’aimerais m’y prendre par une facette de l’amour évangélique : le non-jugement du prochain.

Claude Tresmontant commente cette exigence de l’enseignement de Jésus :

« Mat.7,1 :  » Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés; car dans le jugement même dans lequel vous jugez, vous serez jugés, et dans la mesure même avec laquelle vous mesurez, avec elle vous serez mesurés. « 
Celui qui juge un autre, présuppose par là même qu’il le connait exhaustivement. Première erreur. Dieu seul, le Créateur qui sonde les reins et les coeurs, connaît un être d’une manière exhaustive, jusque dans ses secrets les plus cachés. Si on ne connaît pas un être d’une manière exhaustive, on ne peut pas le juger.
Deuxièmement, celui qui juge un être, présuppose par là même que cet être qu’il juge est fixé, stable, achevé, non-évolutif, figé en son être. Celui qui juge un être le transforme en chose, ou du moins fait comme si l’être qu’il juge était une chose sans devenir. Il le fige, il le fixe, il le pétrifie, par la pensée. Le jugement présuppose un fixisme. Seconde erreur. Dans la durée présente, tous les êtres sont en régime de genèse,de création. Aucun n’est achevé ni figé. Nous ne pouvons juger ce qui est inachevé et en régime de gestation.
Et c’est une erreur qui me juge moi-même, une erreur par laquelle je me condamne moi-même. Car ce jugement que je porte, durement, sur un être dont j’ignore l’histoire secrète, les difficultés intérieures, le poids des atavismes qu’il a à assumer, les luttes qu’il a eu à mener, ce jugement par lequel je solidifie, j’immobilise, je fixe, je pétrifie, ce qui est encore en régime de création inachevée, finalement il atteste la dureté de mon coeur, et mon inintelligence de ce qu’est la création,(…). »(37)

La première partie de l’hypothèse de départ se terminait ainsi :
La création a un sens. Elle est dirigée par Dieu dans un sens précis dont le hasard et la nécessité ne peuvent rendre compte.

Maintenant, le dernier chemin parcouru nous amène à la deuxième partie de mon hypothèse de départ:

Dieu est le sauveur. La vie humaine a un sens. Par son Fils Jésus de Nazareth, Dieu m’offre le Cheminà suivre qui m’oriente vers l’être et le don de mon être. Il me propose la Vérité sur mon existence, une alternative à me faire dieu moi-même parce que mon projet solitaire est voué au repli sur soi. Les exigences évangéliques étant une convocation à la croissance personnelle et à la croissance du genre humain, un appel à la Vie, à réaliser pleinement les capacités du moi en construisant le Royaume de Dieu dans l’amour. Il me sauve de la solitude éternelle.

Si l’on consent que la démarche de la foi élaborée depuis le début de cet essai n’est pas sans fondement pour un être humain, si on admet qu’elle révèle des êtres psychologiquement sains et si on convient que les relations interpersonnelles y sont enrichies, on peut chercher d’autres correspondances avec une manifestation de Dieu par l’Esprit-Saint. Par le fait même, nous entrerons dans le mystère de la divinité de ce Jésus de Nazareth qui devient le Christ, le Messie, le Sauveur. Il y a du pain sur la planche pour être signifiant dans ce domaine intangible, surtout dans le contexte moderne où la chance, le destin, les couleurs, les signes du zodiaque, les pierres spéciales, etc., exploitent systématiquement la notion de spiritualité, où certains l’assimilent à une présence d’extra-terrestre et où d’autres flirtent carrément avec des puissances occultes (re-ouf!). 


CHAPITRE 4

TÉMOIN

Hitler

Avant d’aborder l’Esprit-Saint, complétons notre trajet par un autre exemple humain : Hitler. Cet exemple étant en fait un contre-exemple évangélique. Parfois, le mal nous aide à mieux identifier le bien, tout comme la maladie nous fait souvent apprécier la santé.

Dans ses manifestations humaines, Hitler se situe à l’opposé de Mère Theresa. Le choc de ces deux personnages nous renvoie à ce qu’il y a de plus noble et de plus malsain en l’humain. Dans mon avant-propos, j’ai parlé succinctement de ce rapprochement au sortir de mon adolescence. Cette prise de conscience m’a incité à m’interroger sur le mal. Bien sûr, fidèle à mes professeurs du collégial qui avaient évacué toutes notions de péché – il faut se rappeler que leur révolution tranquille a eu besoin d’écarter l’Église institutionnelle pour se réaliser – j’avais convenu que l’humain est fondamentalement bon. Plus tard, en saisissant qu’un certain courant spiritualiste dans l’Église avait semé la suspicion du mal au coeur même de la personne, je me suis positionné différemment de ces deux extrêmes. Peut-être sommes-nous à la fois bien et mal, lumière et ténèbres. Peut-être que notre seule liberté consiste à nous soumettre à l’un ou à l’autre. Peut-être que l’illusion d’une liberté humaine absolue nous entraîne, par défaut, vers l’illusion d’une certaine liberté imbue d’elle-même, vers le mal. Ceci, si l’on considère que le mal n’est pas seulement faire du mal, mais aussi ne pas faire être les autres en se repliant sur soi-même. C’est aussi ce combat intérieur qu’aborde l’apôtre Paul dans sa lettre aux romains :

«… vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais.»(38)

Le Mal

Hitler comme contre-exemple évangélique m’amène à admettre la réalité du mal. Premièrement, il me renvoie à ma propre humanité. Quels événements de ma vie dois-je subir, quelles failles dans ma personnalité doivent être virulentes et quelle éducation doit m’être donnée pour que je devienne un Hitler en puissance? Deuxièment, il interroge ma foi. Comment se situe la réalité du mal par rapport à Dieu? Le mal n’est-il pas la preuve de l’inexistence de Dieu ? N’est-il pas un créateur fautif ?

Je crois qu’on ne peut percevoir sainement le mal que si on se positionne positivement à l’opposé des forces destructrices. Certains gardent le moral en puisant dans leur propre conception du monde, en choisissant d’être optimiste ou, simplement, en évitant la question. Quant qu’à elle, la foi nous invite à être scandalisés du mal, à ne pas l’accepter comme inéluctable et à le combattre avec l’assurance de la victoire. Elle situe le mal dans une vision d’ensemble en l’associant comme un possible à notre liberté et affirme l’issue heureuse de notre condition humaine. Suivons dans LE MAL(39)

« Les animaux, disait-il, qui arrivent au monde parfaitement achevés sont enfermés dans la prison invisible de l’instinct. Dès leur naissance, ils savent, seuls, courir, marcher, téter. Ils sont vite adultes, mais ne sont jamais libres. L’homme au contraire vient au monde misérable. On pourrait presque penser que c’est un prématuré. Le bébé ne sait pas marcher ni même téter seul. Son autonomie est bien moindre que celle de n’importe quel jeune animal, il a besoin d’une constante vigilance. Son développement est lent et il est adulte que vers vingt-quatre ans. (…) Le nouveau-né est incomplet, mais c’est justement pour cela qu’il va plus loin que le jeune animal car, disait ce savant, la liberté est liée à l’inachèvement. (…)
Cet exposé entendu par hasard me saisit. Ne permet-il pas de comprendre pourquoi Dieu fit le monde inachevé? La théologie nous apprend en effet que Dieu veut l’homme libre, libre même de se refuser à lui. L’inachèvement n’est-il pas alors une condition nécessaire pour que puisse se développer dans l’espace et le temps cette liberté voulue par Dieu? »p.??

Finalement, le même auteur apporte une réponse moins cérébrale au scandale du mal:

« Dans le roman d’Albert Camus que nous citions plus haut, l’un des personnages principaux, le docteur Rieux, s’exclame :  » Je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où des enfants sont torturés! »
Mais devant la mort d’un enfant, le vrai croyant, après avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour l’empêcher, après s’être battu contre elle jusqu’au bout, car c’est là une exigence de l’amour, n’ira pas imaginer Dieu comme un tyran Tout-Puissant qui aurait pu empêcher cela et n’a pas voulu le faire par je ne sais quel caprice sadique. Non! La révolte et le défi de l’homme de foi s’adresseront à la mort, à la maladie, à la haine, à la bêtise, au mépris, en un mot au mal et non à Dieu. Car le vrai croyant l’ a compris : Dieu, c’est l’enfant qui meurt! »p.??

Paradoxalement, si quelqu’un tient à nier Dieu en évoquant le non-sens de Dieu-Amour devant la souffrance humaine, je pense que sa position conditionne, par le fait même, une difficulté à être optimiste devant les pouvoirs destructeurs de l’humain.

«Si, pour nos contemporains, le mal est devenu un scandale d’une telle acuité, ils le doivent aux circonstances propres au XXe siècle, un siècle que surplombent les figurent d’un mal radical dont les noms sont Auschwitz, le goulag et Hiroshima, les camps d’extermination et la bombe atomique. Ces événements ne sont pas seulement l’indice d’un mal dans l’histoire, qui en seraient des ratés, mais le lieu d’un procès redoublé, le procès de Dieu qui se poursuit d’autant plus qu’il a gardé le silence face aux bourreaux, et plus encore celui de l’homme, qui est allé, dans ces événements, à l’extrême de la cruauté et de la pervertion. Ayant repoussé l’idée d’un « Dieu bon », le XVIIIe siècle avait découvert celle d’un  » homme bon ». Quant Nietzche annonçait la mort de Dieu, il croyait surtout annoncer une aurore : l’avénement du surhomme. C’est cette idée de l’homme qui a fait faillite. « Les yeux qui ont vu Auschwitz et Hiroshima ne pourront plus contempler Dieu », disait Hemingway. Peuvent-ils encore, sans sourciller, contempler l’homme ?
Désormais, l’optimisme n’est plus de mise. Si les deux siècles qui nous ont précédés n’ont pas été aveugles sur la réalité du mal, ils en ont méconnu la profondeur et se sont rendus coupables d’un énorme mensonge métaphysique : au lieu de voir le mal là où il se décide, dans la « volonté maligne », ils en ont localié la source hors de l’homme, dans la nature, dans l’histoire, ou même en Dieu.»p.??

Maintenant, je peux revenir à ce même apôtre qui identifiait, juste un peu plus haut, la réalité d’un combat intérieur. Heureusement, il ne nous laisse pas sur une note défaitiste. Par contre, il nous entraîne résolument dans la perspective de la divinité de Jésus , il proclame très clairement le besoin d’un Sauveur intime pour assurer la victoire du bien sur le mal au coeur même de notre être :

« Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ? Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ, notre Seigneur !»(40)

J’ose comparé l’apôtre Paul à Hitler. Avant que ce modèle de l’Église n’écrive cette lettre aux romains, il était un farouche persécuteur des chrétiens. Lui, il justifiait l’extinction d’une catégorie de personnes au nom du dieu qu’il servait; Hitler se justifiait à son tour au nom d’une analyse auto-suffisante de la réalité, au nom de ses convictions personnelles toutes-puissantes. Hitler avait besoin d’un Sauveur, Saul de Tarse aussi… Qu’en est-il de nous cher lecteur ? Et, mère Theresa a-t-elle eu besoin d’un Sauveur pour que le bien l’emporte sur le mal dans sa vie ?

Bien sûr, il y a des différents degrés dans la manifestation du mal. Moi-même, j’ai du puiser beaucoup d’énergie pour mettre ma propre vie en perspective de celle d’Hitler; l’égo ne se laisse pas facilement mettre de côté. C’est sûrement dans ce sens que l’Église a développé la doctrine des péchés véniels et mortels. À la fin de la troisième partie, je préciserai à nouveau pourquoi je prétends qu’il n’y a qu’un seul péché mortel, théologiquement défendable : le péché contre le Saint-Esprit. Autrement dit, le refus de Dieu lui-même dans notre vie. Et, il est mortel non pas dans le sens d’une condamnation provenant d’un juge suprême, mais mortel dans le sens qu’il nous éloigne naturellement, que nous nous éloignons volontairement de la seule communion de Vie possible après la mort : celle de notre esprit avec l’Esprit de Dieu. 


CHAPITRE 5

TÉMOIN

Moi

Dans cette ouverture de se laisser interpeller par des témoins d’aujourd’hui du Dieu-Créateur avec Mère Theresa et de Jésus avec un contre-exemple comme Hitler, je veux maintenant me prendre, moi-même, comme témoin de l’Esprit-Saint. Je m’empresse d’éclaircir un premier malentendu compréhensible. Évidemment, je ne prétends pas que mes réalisations futures auront le même impact mondial. Non! Je suis trop conscient de mes limites présentes pour envisager pareille entreprise. Je me prends comme exemple à titre d’un individu faisant corps avec l’humanité. Le Dieu biblique crée et respecte l’individu dans son histoire. Chacun est appelé par lui à vivre historiquement et individuellement une mission.

Personnellement, à ce stade-ci de mon existence, ayant posé ultimement mon adhésion affective et intellectuelle dans le coeur et la pensée de Dieu, il reste encore ma vie réelle – qui se construit au jour le jour – à soumettre en complicité avec l’Esprit-Saint. Mon témoignage sera donc cet essai, ce que je vis présentement et ce que sera mon cheminement futur dans la présence de Dieu.

J’aime bien cette démarche, car elle laisse une porte ouverte vers l’autre. N’ayant pas moi-même vécu tout le potentiel de ma vie, je ne puis imposer mes raisonnements et ma foi à quiconque. Je me sens sur le même pied d’égalité que tout autre individu cheminant même à l’opposé de mes convictions religieuses. Je ne puis être qu’un instrument d’un des multiples appels que Dieu lance à l’humanité.

Dans ce sens, ce livre est inutile. Au contraire de la gnose qui se construit par sa propre sagesse, par le pouvoir de synthèse de son esprit, je ne possède rien, ou si peu. Dans cet avertissement biblique de «ne pas se faire d’idole représentant Dieu », mon système de pensée s’évanouit, mon livre se désintègre. Mais, pourrait-on dire pour m’encourager à moins de modestie: ta pensée s’alimente certes à l’humain, mais elle trouve son inspiration dans les Saintes Écritures! Dernière tentation. C’est moi et moi seul qui ordonne cette synthèse. Et, pour ne pas réduire Dieu à ma synthèse personnelle, pour ne pas me priver de sa Présence, pour ne pas me retrouver seul dans ma coquille, même remplie de pensées bibliques, je lui remets ces miettes de mon savoir… en sachant que Dieu peut en faire un repas gastronomique pour une multitude.